La famille Pailhoux et Tuchan

In J.Bellissens, Un village dans les Corbières Tuchan

Certains des membres de la famille faisaient de fréquents séjours à Tuchan. Ils étaient par ailleurs alliés au Général Dagobert qui a atteint la notoriété nationale par son comportement dans l’armée des Pyrénées.
A la veille de la révolution, le chef de famille se nomme Joseph Gaspard et porte les titres suivants: « messire de Pailhoux, seigneur du lieu de Cascastel, Villeneuve, Rouffiac, Saint Jean de Barou, Embres et Castelmaure, Conseiller souverain du Roussillon. »
Il aura plusieurs enfants. L’aîné, Joseph Melchior, deviendra « Avocat Général au Conseil Souverain de Roussillon »; le second, Paul Auguste, sera « Conseiller laïc devant la Cour des Aides et finances de Montpellier », bénéfice qu’il a hérité de son oncle, Paul de Pailhoux de Gouterande qui l’avait lui-même acheté à la veuve du Sr Danglade, précédent titulaire. Nous le trouvons le 15 Décembre 1791 demander le remboursement de sa charge au « Bureau de liquidation des Offices de France ».
Joseph Gaspard est un personnage entre prenant qui ne veut pas se contenter d’âtre un hobereau rural. Il a, bien sur, l’orgueil de sa caste. Par son testament de 1756, il demande100 messes de requiem à 12 sols l’une, et veut être enseveli … dans la chapelle du Sacré Cœur de Jésus dans l’église de Cascastel sous une dalle de marbre noir.
La chapelle du Sacré Cœur est située face à l’entrée de l’église de Cascastel, chapelle qui existait donc déjà en 1756. Cette attestation permet de relier la dédicace de cette chapelle, non pas au vœu national qui aboutit à l’édification du Sacré Cœur sur la colline de Montmartre (le mont des martyrs) mais à une histoire plus ancienne et plus locale. En 2018, lors de la restauration de la statue ornant aujourd’hui le portail de l’église de Cascastel, il s’est avéré que les pigments qui ont été utilisés sont identiques à ceux de la salle des Gypses du Château. Cette statue est une vierge à l’enfant, de sa main droite elle désigne son fils qui lui même désigne son coerce sacré de sa main gauche.
Le contexte de l’époque, milieu du 18ème siècle, est celui du combat de Marie Leczinska, Polonaise, épouse de Louis XV qui réussira à imposer au évêques de France une fête religieuse annuelle du Sacré Cœur.
Ce souhait de Joseph Gaspard Pailhoux témoigne de la relation de sa famille, de sa mère  (Marie Thérèse de Ros)  à l’église  et de leur sensibilité religieuse. Aux siècles précédents, les membres de la famille d’Arse se faisaient ensevelir dans la chapelle Saint François, probablement l’actuelle chapelle Saint Joseph car la grande chapelle de la Vierge est de construction beaucoup plus récente.

La vierge à l'enfant de Cascastel
La vierge à l’enfant de Cascastel

Mais il ne craint pas de tenter d’entrer dans la noblesse de robe. Nous apprenons que le 18 Septembre 1757, il « aurait verbalement acquis de Me Pierre de Nicolas son Etat et Office de Commissaire au Parlement de Toulouse au prix de 17000 livres ».
Pailhoux ne possède pas cette somme, mais il a des idées. A la suite d’arrangements familiaux, il bénéficie d’une rente perpétuelle de 1000 livres dont le capital de 20 000 livres est entre les mains de sa belle sœur  » la demoiselle de Thaisa ». Sans demander l’avis de l’intéressée Joseph Gaspard décide de payer son office avec cette somme. Le vendeur lui ristournera 3000 livres. Mais la dame ne veut rien entendre. Me de Nicolas dès 1757, exige une reconnaissance de dette de 17000 livres. Messire Pailhoux dans l’impossibilité de faire face à une telle dépense, met la charge en vente en priant le procureur d’indiquer à « l’acheteur de la payer au dit de Nicolas ».
Paihoux va alors se lancer dans l’industrie. Il possède quelques mines et la forge de Padern. Son fils aîné se rend à Paris pour y rencontrer Me Duhamel « correspondant de l’académie des sciences, Ingénieur du Roy », et Me Pelletier, « tous deux habitants de Paris ». Le 20 Février 1779, Joseph Gaspard envoie à Melchior une procuration « …à raison de la société qui doit se faire pour l’exploitation de toutes les mines appartenant au dit seigneur de Pailhoux ».
L’association est constituée, la partie technique confiée à Duhamel, la gestion financière à Pelletier. Mais l’entreprise bat bien vite de l’aile par la faute semble t’il de Pelletier. Duhamel et Pailhoux, le 20 Octobre 1779, choisissent un procureur « auquel ils donnent pouvoir » d’exiger paiement des billets du Sr Pelletier, quessier des mines, tirès en faveur de Mr Duhamel et endossés par Mr de Cascastel et en cas de deffaud de payement par le dit Pelletier faire toutes diligences en justice … ».
C’est donc à cette date qu’entre en scène le Sr Dagobert. En 1780, « …Messire Luc Siméon Auguste, écuyer, Sieur de Fontenille, Capitaine Commandant les grenadiers du Régiment Royal Italien, fils de feu Messire Gabriel Dagobert sieur de la Bretonière, né à La Chapelle En Juger évêché de Coutance près Saint Lo  » est en garnison à Perpignan. Dagobert est le cousin de Jean Pierre Duhamel qui le présente à Demoiselle Josèphe Claire Jacquette de Pailhoux, fille de Joseph Gaspard. Le mariage a lieu en Août 1780. Le marié a 44ans. La mariée reçoit en dot une part des mines et de la forge de Padern.
Le 29 Septembre 1780, Dagobert et Duhamel s’associent et confient l’exploitation « … des droits que les sieurs constituants ont sur la forge de Padern et toutes les mines et bois attachés à la dite forge » à Mr Alexandre Chapel de la Flenderie, ingénieur des mines, résidant à la forge. Il y a donc maintenant deux directions à cette entreprise, ce qui ne manque pas de provoquer des frictions.
La raison finit par triompher et , le 10 Décembre1782, Joseph Gaspard cède sa part à son beau-fils qui devient ainsi seul propriétaire des forges. Les bâtiments sont évalués à 4000 livres. Le matériel: martinet, fourneau à acier, meules, etc. … est estimé 16000 livres. Une clause prévoit « … que la jouissance du minier de Balansac pour la mine de fer appartiendra en totalité à Messire de Dagobert sa vie durant et qu’après sa mort, le tiers du dit minier reviendra à Mr de Cascastel ou à ses héritiers… ».
Le même jour Dagobert donne pouvoir « … de régir et administrer sa forge de Padern à Mr Jean Nègre, curé de Padern… ».
On apprend au passage des détails sur l’équipement de la forge qui n’est pas négligeable: le martinet, puissant marteau hydraulique, un fourneau à acier en plus du bas fourneau, des meules pour concasser le minerai?
La forge de Padern était « à la catalane » : le bas fourneau était chargé d’un litage de minerai concassé et de charbon de bois. Des soufflets ou une trompe amenaient de l’aire pour activer la combustion et la reduction du minerai. On obtenait une « loupe de fer » en bas du fourneau qui contenait de nombreuses impuretés. Le forgeage au martinet permettait de les chasser et amalgamer le métal.

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Le martinet des forges de Pyrène à Montgaillard (Ariège)

L’extraction du minerai, les charbonnières, les transports employaient de la main d’oeuvre, de même que la forge avec son administration et le personnel technique chargé d’alimenter et de surveiller le four, de même que de réchauffer et conditionner le métal obtenu au martinet. Les mines et la forge avec leurs métiers, l’emploi des animaux de charge induisaient une activité économique certaine.
Les quantités produites par la forge ne sont pas directement connues. Nous savons cependant qu’en 1780, le métal était apporté à Gléon à dos de mulets et qu’on en chargeait de grosses charrettes vers Narbonne.
Les quantités de charbon de bois nécessaires, il en fallait plus que de minerai, ont été le principal handicap de l’activité de cette forge qui fabriqua des boulets de canon et des outils pour l’armée de la république. Ce n’est que dans ce contexte qu’elle connut une grande activité.

Juin 1788, alors qu’il est en garnison à Briançon, Dagobert confie la direction de la forge à son beau-frère Joseph Melchior. Celui-ci réside à Tuchan car il est aussi directeur de la mine de Ségure . Il sera donc en place lorsque les deux entreprises travailleront pour l’armée de la République.
Un an plus tard éclate la Révolution que Dagobert va servir loyalement. Il devient « lieutenant du 2ème Bataillon d’Infanterie légère ci-devant Chasseurs Royaux de Daufine.
Il profite d’une première permission pour déclarer, le 12 Mai 1792, devant le notaire de Tuchan « … qu’il ne veut plus à l’avenir que son beau-fère Sr de Cascastel continue de gérer la dite forge voulant la faire gérer par lui même ou par ses agents… » La raisons de cette mise à pied n’est nulle part précisée. Dagobert mourra en 1794.
Les forges fonctionnent encore en 1818 sous les ordres d’un régisseur, Jean Pierre Sabatier, originaire de l’Ariège. Il habite à Tuchan une maison sur la Place aux Anes (plus tard Droguerie Casoliva).
<est-ce pour occuper ses nouveaux loisirs? Est-ce par un regain de royalisme? Nous ne le savons pas. Toujours est’il que nous apprenons  » … qu’a émigré le Sr Pailhoux ayné cy-devant avocat général au cy-devant Conseil souverain du cy-devant Roussillon … Il y a à la forge de Padern une chambre garnie appartenant au Sr Pailhoux… ».
Joseph Melchior a donc émigré. Mais ce peiti écart de conduite n’aura pas de suites fâcheuses. Dés le retour du fugueur, le général Dagobert qui commande maintenant un Corps d’Armée, le prend comme aide de camp. Mais Pailhoux ne se montre pas plus sérieux dans ses nouvelles fonctions que dans celles de chef d’entreprise.
Délibération du 17 Frimaire an II (7 Décembre 1793) « … Le Procureur de la commune a dit que le citoyen Pailhoux, pourvu d’un emploi d’adjudant major de la Légion des Corbières s’étoit fait nommer ayde de camp du général Dagobert son beau-frère, que depuis l’époque de cette nomination le citoyen Pailhoux n’avoit point paru n’y à sa Légion n’y à l’Armée… qu’il est visible que le séjour qu’il a fait dans Tuchan est d’un exemple très dangereux puis qu’il semble favoriser la désertion des volontaires. … ».
Extrai tde ce texte est envoyé aux représentants du peuple près l’Armée des Pyrénées, qui donnent l’ordre au citoyen Rogre commandant la garde nationale du canton de Tuchan de conduire Pailhoux à Perpignan pour s’y expliquer sur sa désertion. Pailhoux, qui n’a décidemment rien compris aux évènements se fait montrer l’ordre, le subtilise, et se moque du maire qui a accompagné le détachement. Dagobert réussit à arranger les choses et, quoiqu’il trouve son beau-frère bien encombrant, il prie la municipalité de ne plus l’importuner avec cette affaire. Nous verrons qu’il lui en gardera rancune.